LES ESPACES D’UN CHANTIER – ORLÉANS, 2010-2013

« Je suis née à Orléans. À 24 ans je suis partie vivre dans le Gard, au Sud de la France. C’est pour enseigner le dessin à l’École supérieure d’art et de design que je suis retournée chaque semaine à Orléans pendant quelques années.
J’ai alors découvert une ville nouvelle, bouleversée, transformée et revivifiée par le chantier de la 2è ligne du tram.
À travers les saisons, de jour et de nuit, j’ai photographié avec curiosité, étonnement et jubilation les ouvriers, les passants et l’espace graphique en mouvement. »

M-D.Guibal, 2016

Les espaces d’un chantier

Un chantier perturbe, encombre, gêne, provoque des déviations… Quand on lui tombe dessus, en se baladant en ville, on est généralement plus intéressé par la construction en devenir que par ce phénomène éphémère qu’est le chantier, et on est soulagé quand c’est terminé. Cette construction en devenir, en l’occurrence, est un tramway, mais c’est justement le côté éphémère que Marie-Dominique Guibal a gravé dans le marbre photographique. Non pas pour faire un reportage sur ce tramway en devenir, mais pour jouer avec ces lignes, ces couleurs et ces compositions temporaires que le chantier crée – le temps du chantier. Le côté éphémère est bien symbolisé par ce cycliste, quasi-figé par la photo, parce que c’est le chantier qui avance, dans le flou du mouvement. Ou encore par les traces d’un pas laissé sur le goudron vierge, aussi lisse que la surface de l’eau, réfléchissant l’immeuble d’en face. La personne qui a laissé ces traces, s’est-elle envolée ou est-elle revenue sur ses pas ?

Les ouvriers deviennent un élément de composition, comme le sont les lignes formées par les rails et les plots de séparation, et comme les couleurs. Et comme sur le chantier même, ici aussi les ouvriers jouent un rôle central, mais dans la construction d’une dynamique de la composition de l’image : c’est eux qui mettent en jeu les lignes et les couleurs. Un jeu de couleurs épurées dans le chantier sous la neige, où une tache jaune ou bleue ou noire, ne fait que renforcer la bichromie de la photo.

Ce n’est pas seulement de photo en photo que Marie-Dominique Guibal nous propose ces jeux de lignes et de couleurs, ces compositions, mais aussi dans les triptyques ou dans des ensembles encore plus grands. Des photos qui se répondent et se complètent, qui jouent ensemble et qui se renforcent. Les traces au sol, éphémères, en rose-fluo et vert fluo, bien sûr, mais aussi le jeu de lumières, de l’aube à la lumière artificielle de la nuit. La nuit qui crée des tableaux hyperréalistes de scènes insolites, où même les quelques passants semblent être perdus, se retournant pour voir le panneau bleu et vérifier si on va dans le bon sens. La nuit ? Non, c’est la photographe qui crée ces aventures d’un chantier. Des aventures qui permettent même d’imaginer qu’un ovni est descendu pour présenter un théâtre de marionnettes. Voilà, ce qu’un regard photographique porté sur un chantier peut révéler !

Kees Bakker

Kees Bakker est historien de cinéma, spécialisé en cinéma documentaire. Ancien directeur de la Fondation européenne Joris Ivens (Pays-Bas), de l’Institut Jean Vigo (Perpignan) et ancien conservateur de la Cinémathèque de Toulouse, auteur de nombreux articles sur le cinéma documentaire, il est actuellement consultant en écriture documentaire, programmateur pour le festival documentaire de Lussas et chargé de cours à l’Université Paul Valéry – Montpellier 3 (Cinéma), ainsi qu’à l’ESAV de Toulouse (Documentaire).